Le sanctuaire interdit [Rose et ...]

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J'ouvre la porte à la volée, je n'ai pas le temps de m'attarder sur le décor pour essayer de deviner l'endroit où nous nous trouvons. Je ne prends même pas la peine de vérifier si elle est occupée ou non. C'est la santé d'une femme qui est en jeu. Le reste ne m'importe pas.

« Voilà. Assieds-toi, allonge-toi, fais ce qui te semble le plus approprié... », la conseillé-je tout en la menant au bord du majestueux lit.

C'est seulement lorsque je suis sûre de ne plus pouvoir rien faire pour elle que je m'autorise d'autres pensées. Et je commence par m'accuser de tous les maux, non pour me faire plaindre, mais parce que je le pense réellement.
« Oh Rose, je suis désolée, je n'aurais pas dû te forcer à marcher. J'aurais dû aller chercher un médecin, une infirmière tout de suite, et ils auraient mieux su ce qu'il convenait de faire... J'y vais de ce pas, ne t'inquiète pas, je ne te ferai plus bouger... »
Mes mains se cessent de se tordre tout au long de mon mea culpa. Je dois poser mes yeux embués ailleurs que sur elle si je ne veux pas fondre en larmes. Sur le décor de cette chambre, par exemple...

Cette chambre... Elle est si richement décorée qu'elle aurait tout à fait sa place dans la demeure d'un prince, d'après ce que je sais des demeures princières. Il est vrai que je n'en connais presque rien, cloîtrée que j'étais chez mon époux. Lorsque nous sortions, nous allions chez ses amis, qui étaient de même petite noblesse que nous.
En vérité, je ne connais rien du monde. Et j'ai peur.
J'ai peur, même dans ce monde miniature où Rose a laissé entendre qu'il pouvait exister des rivalités entre filles. J'ai peur de ces patrons, dont le spectre est dans toutes les conversations, mais dont je ne connais même pas le visage. J'ai peur de ces hommes à qui il faudra se donner, de cette vie à laquelle je devrais m'habituer.

Un gémissement de douleur me ramène à la réalité. Elle est là, la vérité. Elle est là dans ces blessures. Je ne souffre pas, moi. Je dois aller jusqu'au bout et apporter tout mon soutien à Rose.

« Je te laisse ici le temps d'aller chercher de l'aide, d'accord ? Je ferai vite, je te le promets. Et toi, tu dois rester consciente, je t'en supplie. Ne t'endors pas avant d'avoir été examinée par le médecin. »
*J'ai déjà fait suffisamment d'erreurs pour cette nuit, je pense... *, ajouté-je sans ouvrir la bouche.
Alors reste avec moi...

Invité

Si j'avais su … oui si j'avais su où tout cela allait nous mener, je n'aurais pas quitté la pièce. J'aurais attendu que Bérénice aille chercher le médecin. J'aurais sagement attendu, blottie dans le drap, que quelqu'un vienne me porter jusqu'à l'infirmerie pour me soigner. Je connaissais les lieux, je savais comment les choses se passaient ici. Mais pourtant j'ai laissé la jeune femme me conduire. Car malgré mon courage je n'avais plus de forces suffisantes pour réfléchir à quoi que ce soit. J'avais tout juste la force de me relever et chaque pas de plus était un supplice pour mon corps malmené. Je cherchais, tant bien que mal, à cacher la douleur qui me saisissait à chaque mouvement. J'essayais de ne pas inquiéter de trop ma nouvelle amie. La pauvre était nouvelle ici, ne connaissait encore pas grand chose sur ces lieux et la voilà entrain de voler à mon secours.

Comme par hasard nous n'avons croisé personne dans les couloirs. Comme par hasard mon esprit était plein de brouillard, m'empêchant de me rendre compte de l'endroit où nous étions. La porte s'était ouverte à la volée et Bérénice m'avait conduite jusqu'au lit.

Mes bras enroulés autour de mes côtes douloureuse, je cherchais à garder les yeux ouverts, à ne pas m'effondrer de fatigue ou de douleur. La voix de la jeune femme parvenait jusqu'à mes oreilles, elle s'excusa encore de m'avoir fait marcher, me priant de ne pas bouger, disant qu'elle allait chercher de l'aide. C'est alors que mon regard se posa sur la chambre où nous étions. Je n'avais jamais mis les pieds ici mais je savais. Oh oui je savais que ce lieu était interdit, qui quiconque osait y entrer risquait d'y perdre gros. Cette chambre si somptueusement décorée ne pouvait être que celle de Lord et Lady Boldwin. Personne d'autre ne vivait dans un tel luxe, dans un endroit si parfait, si chaleureux et beau. Il n'y avait qu'eux. Et même si les maîtres des lieux m'appréciaient, je savais que nous n'avions rien à faire là. J'allais tâcher leurs draps, les souiller de mon sang. Lady Boldwin allait entrer dans une colère noire.

-Bérénice attends !

Trop tard. J'étais trop lente, j'avais trop mal et elle, elle était trop pressée, elle voulait, devait chercher de l'aide. Elle avait déjà quitté la chambre, j'entendais ses pas sur le sol. Je fis une tentative pour me relever, elle fut malheureusement de trop. Je m'effondrais au sol dans un soupire de douleur. Mes forces m'abandonnaient, j'avais cette envie si forte de dormir.

« Pourquoi Diable ma chambre est-elle ouverte ? »

La voix de Lady Boldwin arriva jusqu'à mes oreilles. Ses pas également, ceux de quelqu'un d'autre aussi. Je fis en sorte de me redresser, avec les maigres forces qui me restaient. Et soudain elle fut là, devant moi, le visage rouge de colère, le regard noir. Sur ses pas, une servante se fit toute petite.

« Rose, pourrais-je savoir ce que tu fais dans MA chambre ? » Les yeux pleins de larmes, je ne pus répondre que par un hoquet de douleur. « Allez chercher le médecin ! »

La suite serait impossible à décrire. Je perdis connaissance ....

Messages : 1715 Date d'inscription : 26/09/2010

Une journée comme les autres s'était déroulée dans notre Manoir. Une journée relativement calme qui m'avait permis de faire affaires. J'avais fait envoyer l'un de mes Rabatteurs en Angleterre pour qu'il nous trouve quelques petites perles rares, hommes ou femmes, qui plairaient à nos clients les plus exigeants. Nous devions sans cesse nous renouveler, gardant malgré tout certaines filles précieuses que nos clients adoraient plus que tout. Certaines de nos filles étaient de vrais petits bijoux qui savaient à coup sûr ravir hommes et femmes qui venaient dépenser quelques pièces pour quelques heures de plaisir. Ah le plaisir ! Nous étions tous unis par les même envies. Certains cachaient bien leur jeu, d'autres ne se cachaient absolument pas. Adrian et moi étions de cette catégorie de personnes qui assumaient leurs envies, leurs mœurs. Le sexe faisait partie intégrante de notre vie. Nous étions un couple uni que rien ni personne ne pouvait dissoudre. J'étais une épouse comblée, sachant offrir le meilleur à son époux. Et Adrian était l'époux rêvé. Que demander de plus ?

Notre établissement nous comblait. Nous n'étions pas à plaindre et gagnions bien nos vies. J'avais toujours aimé le luxe, Adrian m'avait offert une vie des plus parfaites. Ce jour là, un client avait frappé à notre porte en fin d'après-midi. Je l'avais reçu en débuchant une délicieuse carafe de vin, lui ouvrant la porte de mon bureau avec mon plus beau sourire. Nous avions parlé de lui. Un client de passage sur Paris qui souhaitait de la compagnie, une compagnie douce et féminine. Ses mœurs semblaient des plus normales. A vrai dire, pour une fois dans ma vie, je m'étais faite berner par un client. Un visage d'ange, des cheveux blonds tombant sur ses épaules carrées. Une jeune homme respectable, du moins ce fut l'impression donnée. De toute manière je ne juge pas mes clients.

Il m'avait avoué vouloir essayer d'autres choses, des choses un peu plus violentes, plus dures. Il voulait se montrer dominant, ce qui, selon lui, n'était pas dans sa nature. Pour cela il eut besoin d'une femme douce, pas sauvage pour un sou. Rose m'avait donc semblé parfaite pour ce rôle. Elle était l'une de nos meilleures Ribaude, elle pouvait prétendre au titre de Délicieuse sans soucis, mais elle était encore un peu trop timide pour cela. Rose était l'une de mes favorites. Nous l'avions sauvé, recueillit. Nous lui avions tout apprit. Elle était ici de son gré, ne souhaitant pas partir. Et avec les hommes elle était parfaite, sachant jouer chaque rôle à la perfection. J'avais donc fait prévenir la jeune femme que ce client était spécial, que je l'avais recommandé.

La chambre ''Crimes et Châtiments'' fût préparée, Rose fut attachée. Je ne m'étais plus occupée du reste. Le client avait payé, les choses auraient du bien se passer.

~ Quelques heures plus tard. ~

En passant dans le hall le fameux client croisa ma route, tout sourire. Il me conta combien Rose avait été parfaite, disant qu'il recommanderait notre établissement à toutes ses connaissances. J'étais plus que ravie, j'étais également satisfaite de Rose qui, encore une fois avait fait son travail à merveille.

Comme bien souvent, je fis le tour des clients qui patientaient et buvaient dans le salon d'accueil. Les filles allaient et venaient. Tout était parfait. Jusqu'à ce qu'une servante vienne m'avertir que du sang avait été trouvé dans la chambre du client, que Rose était introuvable. Avec la servante je fis le tour des chambres, des dortoirs et, arrivée près de ma chambre, je pu constater que la porte était ouverte.

« Pourquoi Diable ma chambre est-elle ouverte ? »

Le visage rouge de colère, les yeux noirs, je fis irruption dans ma chambre et tomba sur Rose, assise à terre, enroulée d'un draps, le visage fatigué mais surtout blessé.

« Rose, pourrais-je savoir ce que tu fais dans MA chambre ? » Le regard plein de larme de la petite fut suffisant pour me faire comprendre. « Allez chercher le médecin ! »

La petite s'effondra et perdit connaissance. Ce fut tant bien que mal que je la hissais sur mon lit, tant pis pour les draps. Pour une fois dans ma vie je m'en voulais, simplement parce qu'il s'agissait de Rose. J'étais entrain de me dire qu'elle était venue dans ma chambre pour obtenir mon aide, qu'elle avait confiance en moi. Après avoir retiré le draps qui recouvrait ses plaies, je pris de l'eau fraîche, une serviette propre, et nettoya ses plaies qui semblaient déjà être propres.

Je ne me doutais pas que quelqu'un d'autre l'avait amener ici. Cela n'aurait rien du changer, et pourtant ...

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« Et sans ajouter un mot, elle courut vers la porte et disparut » (J. Green)

Comment, dès lors, aurais-je pu deviner que Rose allait recevoir de la visite ? Je l’ai laissée dans un endroit calme, peu fréquenté, et j’ai fait mon possible pour courir jusqu’à l’infirmerie. J’ai fait aussi vite que ma méconnaissance des lieux me l’a permis.

Dans la panique et la précipitation, je me suis élancée vers le rez-de-chaussée, armée du savoir que le premier étage était seulement occupé par les chambres. J’ai dû croiser des gens. Mais je n’ai eu aucun égard pour eux. J’en ai peut-être même bousculé certains, sans prendre la peine de m’excuser. Envolée, disparue, ma première impression de festivité en entendant les bruits et les conversations. Comme cela me semble lointain à présent ! Quelle amitié ou quelle pitié pourrais-je avoir pour des clients capables de traiter une femme comme l’un d’entre eux l’a fait avec Rose ?
Ils me dégoûtent tant que je passe au milieu d’eux sans y faire attention. C’est une sorte de passage obligé, alors je fais tout pour que ce mauvais moment passe le plus vite possible. Ils ne me regardent pas et moi, je ne me rappelle pas du décor. Tout semble s’être passé comme dans un rêve.
Ou plutôt un cauchemar.

Je me souviens seulement du visage de l’infirmière qui était de garde cette soirée-là.
Un visage doux, aimable, aux yeux qui s’emplirent d’angoisse lorsqu’elle me vit arriver.

Je lui ai balbutié qu’une femme était gravement blessée, dans une des chambres.
Qu’elle allait peut-être en mourir.

« Alors ne perdons pas de temps, menez-moi jusqu’à elle », me prie-t-elle tout en emportant le nécessaire de ses affaires.

C’est dans l’escalier que nous avons croisé une jeune fille, une domestique à en juger par sa tenue, qui s’est jetée sur l’infirmière, aussi terrifiée que j’ai moi-même pu l’être lorsque j’ai descendu ces mêmes escaliers. Je remarque, non sans ironie, que mon comportement est donc normal, dans ce type de situation.
Me voici rassurée.

Rassurée, oui. Je retrouve Rose entre de bonnes mains, le personnel semble enfin avoir réagi. Il y a dans la chambre une femme qui n’y était pas quand je l’ai quittée. J’aurais pu les laisser là, à présent que je savais Rose en sûreté. Mais je n’ai pas pu : la pauvre avait entre temps perdu connaissance. Allongée là sur le lit, elle aurait pu passer pour morte. J’ai amorcé un mouvement pour aller jusqu’à elle, tout en expirant le « Non » qui s’était bloqué dans ma gorge, mais l’infirmière me devance et me fait signe de la laisser officier.

Refoulant au plus profond de moi l’envie de maudire publiquement ce manoir et ses gérants, j’observe plutôt. Contrainte et forcée. La domestique hésite à partir, l’infirmière s’affaire, mais elle…
Qui peut-elle bien être ?
Si belle, si hautaine, si sûre d’elle… Elle serait une de ces créatures que l’on nomme « délicieuse » que cela ne m’étonnerait pas. Connaît-elle Rose ? Sinon, pourquoi n’est-elle pas au travail, comme les autres filles de joie, pourquoi se préoccuperait-elle d’une fille qu’elle ne connaîtrait pas ?

Il faut que je parle, il faut que je pense à quelque chose. Mais je n’ai pas d’autre solution que de lui confier mes angoisses. Je ne pense qu’à ça, je ne peux focaliser mon esprit sur un autre sujet.
« Oh, j’espère qu’elle va s’en sortir ! Je crains que son état ait empiré depuis que je l’ai retrouvée dans… »
Est-il possible de qualifier cet endroit infâme ?
« … l’autre chambre. Un avant-goût des enfers… »

Toutes ces émotions en si peu de temps, ces visions cauchemardesques qui affluent à nouveau, aussi vives, sinon plus, que lorsque je les aies vues… Je porte une main à mon ventre. J’ai mal. La nausée me prend directement aux tripes.

Invité

Dans ce sommeil qui n'en était pas vrai un, la douleur semblait s'être totalement évaporée. Je sentis pourtant les mains me soulever, sans pouvoir ouvrir les yeux. J'entendis la voix de Lady Boldwin, me demandant d'ouvrir les yeux. Non en fait elle suppliait tout en laissant l'eau fraîche calmer mes plaies qui recommençaient à brûler, tel un feu ardent. Le calme fut de courte durée. Déjà je pris conscience de mes douleurs. Chaque muscle endolori se fit sentir, chaque coup reçu semblait secouer mon corps à nouveau. Moi qui avait fini par accepter mon sort, ma vie, je regrettai d'être là, d'être l'une de ces filles destinées à offrir du plaisir sans rien demander en retour mis à part des pièces de monnaie pour enrichir les Boldwin. Pourtant je leur devais tout, je leur devais la vie. Mais à cet instant, plongée entre conscience et inconscience, je maudissais ces deux êtres qui m'avait sauvé la vie. Ils auraient du me laisser périr sur le bord du chemin. Ne pas me ramener ici.

Je savais aussi que je regretterai ces pensées très vite, du moins si je parvenais à m'en souvenir.

« Rose m'entends-tu ? »

La voix de Lady Boldwin fut comme une caresse à mon oreille. Sa main hésitante effleura mon front, le dégageant des mèches de cheveux qui s'étaient collées à ma peau. Alors j'ouvris péniblement les yeux, établissant le contact entre elle et moi.

« Voilà qui est mieux. » dit-elle en m'adressant un sourire rassurant.

- Je suis … désolée ...

Son index se posa sur mes lèvres, m'empêchant de parler plus. Elle m'avertit alors qu'elle avait fait chercher le médecin pour m'aider. Je me mis à penser à Bérénice qui, elle aussi était allée chercher de l'aide. Je me mis à craindre pour la sécurité de mon amie. Si Lady Boldwin apprenait qu'elle avait osé pénétrer dans cette pièce interdite … Les choses risquaient de mal se passer.

Mais ces quelques pensées s'envolèrent sous les doigts et l'éponge douce de Lady Boldwin. Pourquoi n'était-elle pas ainsi avec les autres filles. Ou plutôt pourquoi faisait-elle preuve de douceur à mon égard ? Pourquoi étais-je traité différemment des autres ? C'était une chose que je n'avais jamais compris. Amélia était une femme parfois si terrifiante, hautaine, sévère.

J'eus la mauvaise idée de tenté de me relever brusquement. Les douleurs m'arrachèrent un gémissement, une plainte. La tête me tournait. Et à nouveau je sombrais dans l'inconscience la plus totale …

Messages : 1715 Date d'inscription : 26/09/2010

Rose était une fille spéciale. Je ne sus jamais réellement pourquoi. J'aurais du la traiter comme toutes les autres filles, comme je traitais ma nièce. D'ailleurs c'était elle, la jeune Ninon que j'aurais du traiter comme je le faisais avec Rose. Mais non, les rôles étaient inversés. La jolie Ribaude n'avait jamais éprouvé le moindre dégoût face à moi. Nous n'avions jamais eu à nous plaindre d'elle. La douceur incarnée, la bonté aussi. Rose avait cette petite chose en plus qui me touchait. Personne ne devait comprendre, même Adrian ne devait pas saisir pourquoi … Moi non plus d'ailleurs. Quoi qu'il en soit j'étais terrifiée en la voyant ainsi. Je l'avais envoyé dans les mains de cette ordure; Croyez moi, je n'étais pas prête d'oublier son visage. S'il osait revenir chez nous, il serait reçu avec tout le cruel savoir des Boldwin. En attendant je me devais de prendre soin de la petite, attendant le médecin ou l'infirmière qui pourraient prendre soin d'elle avec plus de précision et de professionnalisme. Je n'étais pas experte, mais vu les hématomes qui se formaient sur son corps, elle devait avoir quelques côtes de brisées, au mieux fêlées.

Lorsqu'elle reprit connaissance ce fut un vrai soulagement pour moi. Ma main effleura son front, dégageant des mèches de cheveux collées à sa peau. Ma voix douce s'éleva et un sourire lui fut adressé. Elle devait rester consciente, c'était mieux pour elle. Mais elle souffrait, elle était épuisée. Elle s'excusa mais je la stoppai net, posant mon index sur ses lèvres sèches. A nouveau je repris l'éponge humide, essuyant son visage. Malheureusement elle voulu se relever.

« Non Rose arrêtes ... »

Trop tard. La douleur lui arrachèrent un gémissement plaintif et elle tomba sur le lit, inconsciente à nouveau. A cet instant l'infirmière arriva avec ses ustensiles, pansements et autres nécessaires pour la soigner.

« Je l'ai trouvé ainsi. Elle souffre beaucoup. Aidez là je vous en prie.»
- Laissez moi la voir Lady Boldwin, je vais prendre soin d'elle n'ayez crainte.

Alors je reculai, quittant mon lit et le corps fragilisé de la jeune Ribaude. L'infirmière examina son corps blessé et parsemé d'hématomes disgracieux. Le silence se fit dans la chambre et ce durant quelques instants. Quelqu'un pénétra dans ma chambre. Mon regard resta rivé sur le corps de Rose. J'étais nerveuse, sans pour autant le montrer, le regard froid. Ma respiration était à peine audible, à croire que je retenais mon souffle. Et soudain la voix de la jeune femme, sur laquelle je n'avais pas encore posé mon regard, retentit. Elle s'adressait à moi, mon regard se posa sur elle, la dévisageant de bas en haut. Son visage me disait quelque chose. Même si je ne m'entretenais pas personnellement avec toutes nos recrues, je les connaissais toutes. Bérénice de Millet, une jeune apprentie fraîchement arrivée. Je l'écoutais sans rien dire. Elle semblait outrée, choquée, paniquée également, soucieuse de l'état de santé de la jeune Rose.

Je ne pus répondre. A cet instant l'infirmière releva son visage vers le mien et s'adressa à moi.

- Elle va s'en sortir Lady Boldwin. Mais il va falloir la ramener à l'infirmerie. Je dois nettoyer ses paies, bander ses côtes. Elle a besoin de repos. Beaucoup de repos.

Un soupire s'échappa de mes lèvres.

«Très bien, faites ce qu'il faut pour son bien.» Me retournant vers la Gouvernante, je repris la paroles. « Faites prévenir le Docteur Langlois au plus vite. Il doit venir examiner Rose. Faites également prévenir le prévôt de police. Il faut qu'il vienne ici.»

La Gouvernante me salua d'un signe de tête et s'éclipsa mais revint sur ses pas, empoignant Bérénice par le bras en lui disant de retourner travailler.

« Je m'occupe d'elle.»

Le regard de la Gouvernante en disait long. Elle s'attendait certainement à ce que Bérénice passe un mauvais moment en ma compagnie. La pauvre jeune apprentie n'avait pas eu le temps de sortir d'ici. Mais maintenant elle savait qui j'étais. L'infirmière nous abandonna quelques instants, se devant de chercher de l'aide pour transporter Rose à l'infirmerie. Nous étions donc seules, toutes les trois, avec Rose toujours inconsciente sur le lit. Mon regard se posa sur elle, tendrement.

« Racontes moi ce qui s'est passé.» demandais-je d'une voix froide à Bérénice, sans la regarder.

Invité

Lady Boldwin… A deux reprises j’ai entendu son nom de la bouche de l’infirmière que je suis allée chercher. Bien sûr. Qui pouvait-elle être d’autre ? Son allure aurait dû me renseigner bien plus vite que des paroles échappées de la conversation.
Je suis stupide de n’avoir pensé plus tôt que j’avais à côté de moi la puissante maîtresse des lieux. J’ai tout le loisir de la regarder tandis qu’elle dispense quelques ordres, et surtout qu’elle couve Rose d’un regard de tendresse. Elle ne semble pas beaucoup plus âgée que moi. Mais elle jouit d’une assurance et d’une confiance qui renforcent son charisme. Je sais qu’elle est crainte et admirée à la fois. Je comprends pourquoi elle peut être admirée. Mais crainte ? Jusqu’à présent elle n’a donné aucun signe de violence ou de cruauté. Je la trouve même plutôt avenante.

Soudain, c’est comme une évidence. Il me faut profiter de cette occasion pour lui parler. Lui dire ce que j’ai sur le cœur. Elle ne peut être méchante. Et pourtant, comment a-t-elle pu donner naissance à un tel endroit ? Sans aucun doute, c’est une femme qui a dû souffrir, pour en arriver là. Un peu comme madame Hooper. Nul ne peut faire souffrir ou exploiter ses semblables volontairement. Je veux continuer de croire à la bonté humaine.
Trouver des excuses aux personnes responsables d’actes inexcusables.
En trouver peut-être même à l’homme qui a mis Rose dans cet état.
Et des voix me ramènent à la réalité.

Retourner travailler ? Je me retourne vivement vers la Gouvernante qui m’a parlé, prête à lui rétorquer que je n’ai jamais travaillé ici et que je n’y travaillerai pas si le destin de la pauvre Rose qui se trouve entre la vie et la mort est celui qui nous guette toutes… Mais la maîtresse a parlé avant moi… Heureusement, peut-être…
Toutefois, tout ce que je pense ne peut être oublié si facilement. La façon dont elle me parle ne fait que renforcer ma frustration, mon impression d’être traitée comme une enfant…
Pire. D’être traitée sans aucun respect.

« Pardonnez-moi, madame, mais il me semble que la moindre des politesses est de regarder son interlocuteur lorsqu’on s’adresse à lui… A moins que vous ne vous adressiez à Rose qui, je le crains, ne pourra vous répondre dans l’immédiat. »

J’ai incroyablement contrôlé ma voix, dans l’état où je suis. Je m’attendais à l’entendre trembler, s’élever, mais il n’en est finalement rien. Et pourtant Dieu sait que ce moment, je l’ai attendu. Je ne compte pas le laisser m'échapper.

« Pour vous répondre, je n’ai que peu de choses à raconter, je n’ai pas été témoin de l’incident. J’ai seulement trouvé Rose agonisante, je l’ai aidée, voilà tout. »

C’est la pure vérité. Dois-je ajouter que cet endroit n’a, dès lors, à mes yeux, plus de raison d’exister ? Que les gérants du manoir, sous des dehors tendres et calmes, sont des monstres d’avoir laissé une telle scène se produire chez eux ?
Sans doute pas de la sorte.
Mais je dois pourtant le dire, parler, si je veux rester fidèle à mes principes.
Le dire, oui. Mais subtilement.

Je poursuis tout de même mon récit.
« Puis il nous a fallu partir de cette chambre… Laisser Rose sur le lieu de son supplice équivalait à lui faire revivre ces horreurs avec davantage de puissance… J’ai voulu la guider à l’infirmerie mais elle s’est effondrée au moment où nous passions à proximité de cette chambre-ci. J’espère pour votre établissement que de tels incidents ne se produisent pas tous les soirs… », conclus-je sur une pointe d’ironie.

« Et pourtant… Si vous saviez le nombre de blessures qui touchent la plupart des filles en ces murs. Les blessures les plus graves, à mon sens, ne sont pas forcément celles qui se voient… », murmuré-je en faisant quelques pas.