Ce manoir était un bordel!!! Si si!!! Je n’y étais pas à mon aise et j’évitais de croiser toutes ces femmes et ces hommes à moitié vêtus. Surtout ces hommes je dois l’avouer, car jamais auparavant je n’ai eu droit à des torses nus et ma foi cela me cause beaucoup d’embarras. C’est que je ne m’attendais pas du tout à cela de mon frère et je reste persuadé que notre père ne le savait pas non plus. Enfin, je n’ai jamais eu le choix des chemins à suivre puisque je ne suis qu’une femme en attente de plaire à celui qui demandera sa main. Pour le moment, j’arpentais les couloirs que de jour alors que mon esprit tentait de mettre des noms sur tous ces visages. Certaines femmes me fuyaient, d’autres me regardaient de haut alors que les dernières jetaient sur moi des regards curieux ou envieux. Envieux? Pourquoi m’envieraient-elles? J’étais loin d’être aussi jolie pourtant. Comme prévu, je mettais moi aussi la main à la pâte et c’est en fredonnant que je coupais et préparais les légumes, les soupes et la viande qui serait servie pour le repas du soir. Je n’ai jamais aimé rester à ne rien faire et c’est avec une grande joie que je prêtais main-forte à la cuisine.

Dame Boldwin?

Aieuuuuh

Je venais de me couper sou l’effet de surprise. Mon doigt trouva de lui-même le chemin vers ma bouche et c’est d’un air triste que je me suis retourné vers l’intruse.

Eve… Je m’appelle Eve…

Dame Ève, il y a un homme qui demande à vous voir. Il vous attend à la bibliothèque puisque vous n’avez pas de bureau.

Pourquoi j’aurais un bureau? Pourquoi cette femme, pourtant plus vieille que je ne pouvais l’être, semblait mal à l'aise?

Dame Sophia… Vous êtes un amour et merci d’être venue me porter ce message. Mais… Je n’attends personne et je… *rougit* Vous pouvez me dire au moins de qui il s’agit?

M. Duchesne

Puis la jeune femme tourna les talons et sortit de la cuisine sans attendre. Bien que le nom de l’individu me soit maintenant connu, il restait pour moi un étranger. Avais-je le choix? J’ai donc déposé mon couteau sur le comptoir avant d’essuyer mes mains et de prendre le même chemin que ma messagère. Je marchais vers le lieu de rencontre en laissant des milliers de questions se bousculer dans ma tête. Les Qui et les Pourquoi avaient bien sûr priorité. Une fois devant la porte de la bibliothèque, j’ai pris un moment pour replacer ma robe fait de fins tissus ocre, quelques secondes pour replacer mes cheveux et un instant supplémentaire pour prendre une grande respiration. Une fois prête, j’ai cogné et je suis entrée sans attendre d’autorisation. Un homme de grande stature s’y trouvait. Le rouge aux joues, je me suis avancée vers lui après avoir refermé la porte derrière moi.

J’imagine que vous devez être M. Duchesne? Je… Je suis surprise de me voir ainsi convoquée, c’est que je ne connais personne, dans cette ville vous savez? Encore moins des hommes voulant s’entretenir seuls avec moi. Si cela concerne mon avenir ici, j’ai bien peur qu’il vous faille rencontrer mon frère pour faire les arrangements nécessaires. Je ne suis pas maitresse de mon destin.

Voilà, je venais de baisser les yeux alors que ma gêne devait être visible à des kilomètres à la ronde. Difficile de devoir avouer tout cela à un homme d’âge mûr qui devait, on doit l’avouer, déjà savoir tout cela. Mes doigts jouaient entre eux pour diminuer mon malaise.

Le fait que vous voulez m’appeler Ève est tout simplement parfait, M. Duchesne! Le titre de Dame Boldwin ne me revient pas j’en ai peur.

Un sourire rayonnant et sincère brillait sur mon visage. Un sourire qui aurait dû ternir à la seule pensée que mon frère désirait voir cet homme me parler. Devais-je vraiment m’en réjouir? Je ne le détestais plus depuis bon nombre d’années, mais il a tout de même laissé une réputation derrière lui. Peut-être avais-je fait quelque chose qui lui a déplu? Je n’étais ici que depuis peu, alors pourquoi voulait-il que je parle à cet homme? Qui était-il et que me voulait-il? Toutes les questions que je mourrais d’envie de lui poser, mais que je retenais encore de peine et de misère. Chaque chose en son temps et pour le moment je me devais d’accepter l’invitation à prendre place pour discuter. Je crois sincèrement que cet homme ne devait pas toute sa tête s’il souhaitait à ce point parler avec une femme aussi bavarde que je pouvais l’être.

"Mais ... que vous est-il arrivé? Vous vous êtes blessée?"

Pardon?

Je dus suivre son regard afin de savoir de quoi il pouvait bien parler.

Ohhh ça? Ce n’est rien croyez moi, je suis à ce point maladroite que des petites coupures de ce genre sont fréquentes chez moi. Mes domestiques ne s’inquiétaient que très rarement pour si peu. Mais votre sollicitude me touche, M. Duchesne.

Mes yeux pétillaient de bonheur, car cet homme semblait être bon et prévenant. Par contre, je me languissais de connaitre le but de sa visite, j’ai donc pris place dans un fauteuil tout près de la fenêtre afin de pouvoir vite obtenir réponse à mes interrogations. Je le regardais prendre place, le détaillait sans vraiment faire attention pour ne pas choquer. J’étais tout de même habitué à être la dame de la maison et de voir les gens baiser ma main en signe de gentillesse. Il m’était difficile ici de n’être qu’une inconnue, même si d’un autre côté, je pouvais facilement être moi de cette façon. Plus besoin de faire semblant, d’essayer de plaire à tout le monde et de pleurer la nuit parce que ma vie était vide de sens.

Je vous en pris M. Duchesne, dites-moi vite la raison de cet entretien, sinon ma curiosité va flancher. Pourquoi un homme comme vous s’intéresse-t-il à une femme comme moi? Si c’est pour obtenir mes… mes faveurs *rougit*, alors j’ai bien peur de devoir vous décevoir, car je ne suis pas à vendre. Enfin… mon corps… Huum… Je veux dire que je ne…

Bon voilà, je devais avoir l’air complètement idiote de bafouiller comme ça, mais parler de relations intimes était un sujet tabou pour moi. Je me suis relevée un peu trop rapidement de mon fauteuil, confuse et gênée. Mes pas m’ont mené vers la fenêtre et regarder dehors me redonna un minimum de calme. Toujours les yeux tournés vers l’extérieur, j’ajoutais d’une voix pas très rassurée :

Pardon, je parle trop et il s’agit là d’un vilain défaut. Je vous écoute.

Sous aucune considération je ne retournerais m’asseoir dans ce fauteuil. J’avais trop honte de lui avoir parlé avec autant de franchise. Pourquoi ne pas lui avoir dit que j’avais la trouille, que je voulais retourner en Angleterre et que ce manoir me troublait. Pourquoi ne pas lui dire que je devinais ce qui se jouait derrière les portes closes et que je craignais de ne jamais être aimé ou de n’être aimé que pour l’argent qui dormait en tutelle.

"je ne vous l'ai pas encore dit mais je suis banquier. Placer ou prêter de l'argent tel est mon métier. Nous faisons ça de père en fils dans la famille. Et ... Adrian pense que je pourrais être de bon conseil pour vous. Mais ... il s'agit de votre argent."

Je ne savais plus quoi dire. Oui oui, j’étais bouche bée et croyez-moi il m’en fallait beaucoup pour arriver à le faire. Je ne pouvais m’empêcher de l’observer en mettant de côté toute gêne. Le silence m’oppressait, une mouche aurait pu faire vibrer mes tympans. Venait-il de dire qu’il s’agissait de MON argent? Vraiment? Et Adrian était d’accord? Moi qui croyais que cet héritage revenait de droit à l’homme qui me prendrait pour femme? Il m’a fallu un certain moment avant de pouvoir revenir les deux pieds sur terre.

Je ne sais pas quoi vous dire…

C’était la vérité. Mais à cette seule pensée, un fou rire quitta mes lèvres et résonna dans la pièce. Un rire joyeux ressemblant au chant d’un oiseau… vif et agréable et contagieux la plupart du temps.

Vous pourrez vous vanter, à qui veut entendre que vous avez réussi à me faire taire M. Duchesne. Un exploit que peu ont réussi à accomplir.

Réfléchis un moment avant de m’approcher de lui d’un pas gracieux. Mon regard rivé dans le sien, j’avais envie de lui faire confiance. Mon frère ne m’aurait jamais envoyé cet homme si aucune confiance ne s’était installée entre eux et jamais il ne trahirait la mienne… enfin, je crois. Je l’ai détesté longtemps, mais aujourd’hui ce cher Adrian m’inspirait confiance.

vous semblez être un homme bon et généreux et si mon frère a confiance en vous alors je me vois mal allez à l’encontre de ces pensées, mais… mais c’est un certain Thomas… Thomas St-Martin si ma mémoire est bonne, qui est en possession de ce droit de regard… avec mon frère bien sûr. J’ai signé les papiers avant mon départ…*Encore deux pas dans sa direction, à peine un mètre ne nous séparait maintenant* si vous réussissez à obtenir ce droit de gestion, je signerai tous les papiers que vous voudrez soyez-en assuré, mais… mais j’aimerais obtenir un petit quelque chose en échange. Voyez-vous, mon père a précisé qu’aucune somme ne me serait versée jusqu’au jour de mon mariage, car je ne suis qu’une femme et que les femmes n’ont pas à se préoccuper de l’argent. *Ma main est venue tourner une mèche de mes cheveux alors que ma gêne reprenait le dessus.* je sais que je n’ai aucun droit et je ne veux pas l’obtenir non plus, mais je me vois mal quémander de quoi dépenser à mon frère… Si vous consentez à me donner un petit montant pour que je puisse m’offrir quelques folies de temps en temps, alors je vous laisserai gérer mes biens.

J’avais honte de cette demande et cela devait se voir puisque je ne fixais plus ces yeux, mais mes souliers du regard. Qu’allait penser de moi à présent? Allait-il me croire frivole ou hautaine? Je ne ressemble pas à toutes ces jeunes femmes de la bourgeoisie que l’on m’a forcé à côtoyer en Angleterre. On m’a élevée pour plaire et pour obéir et non pour ouvrir mes ailes et voler vers ma propre indépendance. J’aimais dépenser… J’aimais dévaliser les marchants… Acheter des robes, des foulards de soie, des souliers et des bijoux était mon passe-temps préféré. Bien que je trouvais ma demande audacieuse et qu’un non me décevrait, je n’irais pas à l’encontre de désir de mon frère. S’il voulait me voir confier mes avoirs à cet homme alors je le ferais de bonne grâce et sans discuter. C’est avec peine que j’ai relevé mon regard vers lui.

C’est beaucoup demander n’est-ce pas?

Pourquoi je ne pouvais pas tout simplement m’évanouir ou faire semblant comme plusieurs jeunes femmes de ma connaissance lorsqu’elles voulaient fuir le moment présent? Pourquoi ne pas lui dire non et sortir sans rien ajouter? Un sourire chaleureux se dessinait sur mes lèvres alors que sa réponse n’allait pas tarder à tomber et à choisir pour moi ce qui était bien ou non.

Adorable? Je tentais de retenir le rouge de me monter aux joues, mais sans succès. Peut-on empêcher les merles de chanter ou le ruisseau de couler une fois gorger de son eau au printemps? Ce fut encore pire lorsque me fit signe d’approcher encore un peu. J’obtempérais avec une certaine réserve, car J’étais mal à l’aise de le savoir si près et en même temps fasciné de ma propre audace. Une chaleur émanait de lui, une chaleur attirante et bienveillante qui appelait à la confiance. Son discours étant empli de bons sens, je ne l’écoutais que d’une oreille, préférant scruter son regard. Vous saviez que les yeux ne mentent jamais? C’est ce que m’avait maintes fois répété ma nourrice lorsque j’étais enfant. J’étais pourtant loin de me douter qu’elle parlait des miens et non du regard des étrangers.

… cet homme aura bien de la chance... croyez-moi!"

Ohhh!

Une réponse pas très intelligente, mais ne connaissant rien au gout des hommes, je ne pouvais rien ajouter de plus que cela. Si l’homme qui fera sa demande avait de la chance à ce point, il me tardait de le rencontrer. C’est donc avec un réel plaisir que je continuais de boire ces paroles. Il disait comprendre mon besoin de dépense et je devais avouer qu’il marquait des points.

.. ma chère Eve... "

Mon prénom, lorsque prononcé par cet homme, me donnait envie de l’entendre encore et encore. Sa douce voix, son regard brulant, son corps… si près. Je n’allais pas bien, mais pas bien du tout. J’avais chaud, mon cœur battait la chamade et mon souffle manquait une respiration sur deux. Alors que mon éducation me dictait de reculer et de remettre de la distance entre lui et moi, ma tête me disait autre chose. L’étiquette et la bienséance avaient toutes deux été piétinées il y a longtemps et je ne voulais pas paraitre impolie face à cet homme. Il ne manquerait plus qu’un mot sur ma mauvaise conduite et une réprimande tomberait à coup sûr. Le voir se lever coupa court à mes rêveries. Il se tenait debout devant moi et bien sûr je devais lever la tête pour croiser son regard. Un léger geste de recul involontaire s’imposa lorsqu’il a pris ma main pour m’attirer encore un peu plus près. Ma seconde réaction fut de regarder la porte au cas où quelqu’un, qui passait par là, se déciderait d’entrer sans frapper? Il ne manquerait plus que des rumeurs circulent sur moi alors que je venais à peine d’arriver. Il faut dire qu’avec tout le luxe ce qui se jouait dans cette demeure, le seul fait de mentionner mon nom de famille minait déjà mes chances.

Alan? Je… Puisque vous sembler vouloir faire preuve de grande franchise à mon égard, j’aimerais que vous répondiez à cette question sans détour aucun. Mes doigts enroulaient une nouvelle mèche de cheveux, alors que je ne pouvais quitter son regard des yeux. Vous êtes un homme, pas de doute là-dessus, alors pourquoi je semble tous les faire fuir? Suis-je si laide? Trop hautaine? Pas assez intelligente? Trop bavarde ou trop curieuse peut-être? J’aimerais savoir ce qui cloche avec moi, car je n’attire pas foule vous savez. En comparaison des filles recrutées par mon frère et son épouse, je fais piètre figure.

Un sourire inquiet s’afficha sur mon visage.

Dites-moi franchement… Je vous plais à vous?

Je devais savoir… Pourquoi? Je ne pouvais fournir de réponse à cette question qui était mienne, mais je devais savoir si tout ce charme était de la comédie ou non. J’étais certes vierge, mais pas idiote. Il me plaisait à moi. De là à succomber, il en passerait encore beaucoup de l’eau sous les ponts, mais je ne pouvais nier mon attirance et même si j’osais lui avouer un tel secret, cette attirance ne devra jamais aller plus loin que son œuf. Voir éclore mon envie sera le début de ma fin. Je ne voulais pas finir comme toutes les femmes mal mariées venant au manoir ou comme celles qui vendaient leur corps pour survivre. Je voulais plus, je voulais tout.

Ces belles paroles me comblaient de joie et j’avais une subite envie de fondre sous leurs douces caresses. Ce que je donnerais pour lire dans ces pensées, m’assurer que tout était vrai et que ce n’était pas des paroles dites dans l’espoir d’endormir ma confiance. On m’avait prévenue que les hommes étaient de beau parleur, que je devais me méfier et surtout, ne jamais les laisser voir mon trouble. A l’époque je ne comprenais pas vraiment pourquoi un homme me troublerait, mais depuis mon arrivée en ces lieux l’idée me hantait peu à peu. Je me suis souvent surprise à vouloir gouter aussi à tout cela comme je me suis souvent forcée à regarder ailleurs lorsqu’un couple s’enlaçait un peu trop intimement. C’est mal d’espérer connaitre un jour un tel élan d’extase, je le sais et je n’en suis pas fière. On ne doit pas vouloir être ainsi caressée et désirée, mais les femmes de ce manoir ne semblent pas en souffrir. Plusieurs recherchent même la proximité de ces hommes, alors que l’église nous demande… exige… que nous nous donnions à nos époux sans rien espérer en retour.

Encore sur mon petit nuage de tendresse, le cliquetis de la serrure me fit sursauter et le voir revenir vers moi augmenta mon rythme cardiaque sans raison valable. Des compliments pleuvaient encore alors que mes joues rougissaient de nouveau. Lorsqu’il m’attira à lui, j’ai dû me mordre la lèvre pour ne pas lui dire que sa proximité devenait gênante. Un frisson me parcourut l’échine lorsque son doigt effleura ma joue sans honte.

"(..) si je peux vous aider en ce sens ... Eve ... j'en serais ravi.

Oh non, oh non, oh non !! Voilà que sa main relevait doucement mon menton, alors que mon regard allait directement se perdre dans le sien. J’ai dû me forcer à prendre une grande respiration.

Je ne crois pas que mon frère apprécierait dis-je en me levant sur la pointe des pieds afin d’être un peu plus à sa hauteur. La façon dont vous prononcer mon prénom me trouble.

J’avançais doucement mon visage vers le sien sans même m’en rendre compte. Son charme viril allumait mes sens alors que son sourire faisait fondre mes barrières. Je… Je ne pouvais en dire plus, c’est avec très peu d’assurance et beaucoup de courage que j’ai finalement posé mes lèvres sur les siennes. Quelques secondes seulement, le temps nécessaire pour que sa chaleur effleure la mienne et que mon esprit reprenne le contrôle de toute cette envie. J’ai dû me forcer pour ne pas prendre la fuite, mes yeux ronds et mon visage honteux en disaient long sur mes sentiments du moment. J’avais reculé alors qu’en réalité j’en aurais pris beaucoup plus. La honte d’avoir osé me serrait la poitrine. Qu’allait-il penser de moi à présent?

Je suis désolé! Je ne voulais pas! Je... je… je vous promets de ne plus jamais vous tenter de la sorte, mais promettez-moi de ne rien dire je vous en pris, il en va de ma réputation et de celle de mon frère. Il… il sera fâché, j’en suis sur et il ne faut pas le lui dire… s’il vous plait?

Ma voix suppliait et mon débit plus que rapide démontrait ma peur. Pour une femme bien née, il est mal vu de perdre ainsi le contrôle de nous-mêmes.

Je crois qu’il serait préférable de continuer cet entretien avec mon frère… Je signerai ce qu’il me dira de signer puisque j’ai confiance en son jugement. Je crois que je ne pourrai plus me retrouver seule avec vous dorénavant…

… car je risque de ne pas pouvoir vous résister comme je me dois de le faire. Ces derniers mots restèrent sur ma langue en y laissant un gout amer.

"N'ayez aucune crainte ... cela restera entre nous ... Eve ..."

J’avais fermé les yeux afin de savourer le gazouillis que provoquait mon nom sur sa langue. Puis j’ai eu beau écouter ces explications, je n’arrivais pas à aller dans le même sens. Ce sont les femmes qui tentent et non les hommes! Ce sont les femmes qui détournent les détournent du droit chemin et non le contraire! Par contre, qu’il se dise attiré par moi me fit frissonner de joie. J’ai toujours aimé faire tourner les têtes, être le centre de l’attention, sentir les hommes me regarder et attiser leur envie, mais je n’étais pas pour autant confiante en mes moyens. Faire tourner la tête des hommes est quelque chose de plaisant, mais avoir pour moi seule le regard de tel homme, je m’enflammais. Avec lui c’était différent, intime, personnel… J’avais envie de l’entendre me faire la cour pendant des heures pour ensuite me chuchoter des mots doux à l’oreille, mais pourquoi? Aurais-je été jalouse d’une autre femme s’il avait osé poser ces yeux sur elle alors qu’il était avec moi? Répondre à cette question m’était impossible malheureusement, mais pour une rare fois je me sentais vraiment belle.

Bien qu’entendre de telles paroles m’enivrait, ressentir de nouveau la chaleur de son doigt sur ma joue était divin. Mes lèvres s’entrouvrirent légèrement lorsque son doigt glissa sur celles-ci. Mon cœur battait la chamade et manquait d’éclater sous ces nouvelles sensations. Puis il osa… Ces lèvres, que j’avais moi-même attaquées un peu plus tôt, venaient chercher la clé de ma reddition. Pouvoir choisir l’heure de ma mort, je dirais sans équivoque ici et maintenant. Je m’étais obligée à croiser les mains derrière mon dos afin de ne pas les poser sur lui et lui donner ainsi de faux espoir. Non je me mentais, ce n’est pas à lui que j’allais donner de faux espoir, mais à moi.

"Vous le voyez ... Eve ... j'aime à goûter vos lèvres et ... j'espère que c'est partagé. Mais ... si vous jugez cela inconvenant nous en resterons là et nous contenterons de parler affaires seuls ou en présence de votre frère. C'est à vous d'en décider."

A moi? Je n’étais pas assez forte pour lui résister… Pourquoi diable mon frère m’avait-il laissée seule?

Je dois me retenir pour ne pas demander davantage. Ne me laissez pas succomber à vos lèvres M. Duchesne. Soyez plus fort que je ne le suis, pour moi. Il nous faut terminer cet entretien et ensuite, nous ne nous reverrons qu’en présence d’un tiers… pour moi.

Je me sentais idiote de lui demander ce genre de concession. Surtout que j’en avais envie aussi! Il me faudrait discuter longuement avec mon frère sur la suite des choses. Cet endroit allait me faire perdre la tête plus tôt que prévu et adieu vie de famille tant convoitée. Aussitôt sorti de cet endroit, il me verrait apparaitre dans l’embrasure de son bureau. Je me devais de lui faire comprendre que de tels entretiens n’étaient pas bons pour ma réputation. Il se devait de veiller sur moi… J’étais faible… Je ne voulais pas succomber et pourtant? Dieu que ces caresses étaient affriolantes.

Je crois que nous devrions poursuivre cet entretien dans le bureau de mon frère.

Je reculais d’un pas, de deux puis de trois, avant de me diriger vers la porte.

J’aimerais garder votre amitié Alan… Vous… Je me sens bien en votre compagnie.

C’est le mieux que je pouvais lui offrir. Je me gardais bien de lui avouer que le revoir sera un supplice pour moi, qu’il me sera difficile de lui résister et surtout… que je le désirais atrocement.

Un autre baiser que je me devais de repousser. Au lieu de le pousser ou de le frapper pour lui démontrer mon indignation, mon corps s’est ouvert et je lui ai rendu ce baiser avec un peu trop de passion à mon gout. J’ai entrouvert mes lèvres, invitant ainsi les siennes à y entrer selon son désir. Mes mains se sont posées d’elle-même sur son torse et mes derniers moments de lucidité m’empêchèrent de les glisser plus bas afin de l’inviter à plus. Lorsque finalement ce baiser prit fin, j’avoue que la frustration prit vite la place de mon envie. Mon souffle était court et mon cœur battait comme un forcené. J’écoutais son petit discours et je n’ai pu retenir un hoquet de surprise en entendant son invitation à le rejoindre chez lui pour plus d’intimités. Je comprenais fort bien l’allusion, le double sens de son invitation.

Nous trouverons bien un prétexte pour être tout à fait tranquilles ... seulement vous et moi..."

Pourquoi? POURQUOI? Ne pouvait-il pas laisser tomber et me laisser rêver comme toute jeune femme est en droit de le faire? Ne voyait-il pas que mes défenses fondaient à vue d’œil? Ne comprenait-il pas que ces caresses étaient divines et que mon corps en aurait pris davantage? Je lui ai souri avant de lui tourner le dos pour me rendre jusqu’à la porte.

Je… je parlerai à mon frère… Peut-être le devriez-vous aussi?

Voilà les derniers mots qui quittèrent ma bouche avant d’ouvrir la porte et de sortir en douceur. Mes paroles voulaient tout dire et rien dire en même. De quoi j’allais lui parler? Seul mon esprit le savait, mais cet homme était en mesure de le deviner ou de le comprendre. Mon souhait était d’obtenir les pensées et les désirs de mon frère sur la suite des choses. Côtoyer autant de luxure était difficile et s’il ne voulait pas me voir succomber, il allait devoir me trouver un endroit plus calme d’ici à ce que je me lie à l’homme de son choix. J’étais faible et la peur de me voir prise et déflorée avant mon mariage me rongeait. Plus je tentais de fuir mes envies et plus on tissait un filet tout autour pour m’étouffer. Il me fallait savoir son point de vue, je voulais son accord tout simplement…

La question était : comment? Comment lu poser la question sans qu’il ne se mette en colère? Comment aborder avec son propre frère un sujet aussi délicat? Comment ne pas passer pour une pute aux yeux de la seule famille que j’avais ici en France? Et je fais quoi s’il me dit oui? Je fais quoi s’il me dit non? J’étais troublée de ne pas savoir et personne ne pouvait m’aider à y voir plus clair. Je pouvais me tourner vers Amélia, mais pour une raison que je ne pouvais nommer, elle semblait ne pas beaucoup m’apprécier. Alors peut-être qu’une délicieuse pourrait m’aider à y voir plus clair? Si oui, laquelle? Un homme voudra-t-il de moi par la suite? Que de questions qui ne trouveraient pas réponse aussi facilement à mon grand regret.