L'obscurité avait depuis longtemps envahi les couloirs lorsque je daignait enfin sortir de recoin sombre dans lequel je m'étais terré. L'heure d'affluence était passée, et je ne risquait plus rien. Bien sûr, ce petit stratagème fonctionnait rarement : si un client me réclamait Margaret finissait toujours par me mettre la main dessus, mais si le client ne désirais personne en particulier, j'étais relativement tranquille. D'ailleurs je jouait de plus en plus rarement à ce petit jeu, depuis le temps que je vivais au manoir, je m'étais habituée au inconvénients de cette vie qui, les clients mis à part, aurait pu être tout à fait acceptable. Seulement ce soir, je n'étais pas d'humeur à laisser un inconnu me toucher. Je voulais le voir lui, et aucun autre. Je savais par ailleurs qu'il étais là ce soir, je l'avais vu arriver. Il étais probablement encore en « rendez-vous », ce qui ne me gênait étrangement pas. Le savoir marié non plus d'ailleurs, je n'étais pas possessive, il faisait ce qu'il voulait, et moi pareil de mon côté. Nous ne recherchions la compagnie de l'autre que lorsque l'envie nous en prenait, et jamais il n'avait payé pour me voir. Les Boldwin n'étaient d'ailleurs pas au courant de notre relation.
Tandis que seul le bruit feutré de mes pas et le bruissement de l'étoffe de ma robe troublaient le silence, je me perdis dans mes souvenir, et plus précisément celui de notre première rencontre.


C'était quelques mois auparavant, six mois après mon arrivée au manoir. A l'époque j'étais qualifiée de farouche, je refusais ma nouvelle condition. Il m'avait fallu pas mal de temps, et la présence de Léonard, pour m'y habituer. Ce soir là, un homme dont je ne me souvient plus du nom avait réservée quelques filles et une salle au manoir pour une petite fête. J'y avait été conviée et trainée de force. Pourtant l'ambiance était loin d'être désagréable : des rires, de la musique et quelques couples dansant harmonieusement me rappelèrent très vite ces soirée auxquelles j'avais naguère assistées, et que j'aimais tant. Il était si rare de s'amuser de cette façon au manoir, que je laissais de côté toutes mes appréhensions pour aller batifoler avec les autres filles, passant d'un groupe d'invités à l'autre, le sourire sur les lèvres. J'avais également dansé avec de jeunes hommes, et d'autres hommes moins jeunes, dont je peux encore me rappeler les traits bien que leurs noms, pour ceux qui avaient pris la peine de me les donner, aient depuis longtemps déserté ma mémoire. Mais ça n'avait pas d'importance, et ça n'en aura jamais. Le seul qui ai eu de l'importance, c'était ce jeune homme aux cheveux châtains, et au regard si envoutant. Tellement d'ailleurs que je ne pouvais m'empêcher de lui jeter fréquemment des coups d'œil sans oser l'approcher. Grâce au ciel, lui était moins timide, sans cela il ne serait resté qu'une image dans ma mémoire, un visage souriant gravé dans mon esprit. Grâce à lui, par désir de lui plaire, j'avais abandonné ma pudeur dans laquelle je m'étais drapée à mon arrivée au manoir, pour accepter les clients, pour m'amuser et profiter de ce que j'avais, plutôt que de geindre sur ce que j'avais autrefois, ce que je n'avais plus et ce que je n'aurais sans doutes jamais plus.


Un claquement discret me fit sortir de mes pensées, une porte venait de se fermer discrètement, une silhouette était sortie de la chambre nuptiale. J'attendis de distinguer les traits de cet homme avant de m'approcher. Il était de dos, mais tourna la tête un bref instant et je pus voir son visage sans qu'il ne me voie pour autant. Un sourire se forma sur mes lèvres. Léonard Perrain avait finis son entrevue avec l'une de mes comparses, et je comptais bien l'avoir un peu pour moi avant de le rendre à sa femme. J'avançais donc à pas feutrés, et m'arrêtais juste derrière lui, dans un rayon de lune. Je posais doucement la main sur son épaule.

Leonard déposa un dernier baiser sur les lèvres de la jeune femme qui lui avait procuré tant de plaisir durant tout le début de la nuit. La grosse pendule à balancier indiquait minuit passé. Il n’avait pas vu le temps filer tant il s’était amusé en la compagnie de cette délicate créature si douée dans l’art de l’amour. Il était arrivé quelques heures auparavant, fatigué par sa journée dure et éreintante, remplie de soucis et il allait ressortir de cette chambre totalement serein.
Le jeune homme remis ses vêtements en place te reboutonna sa chemise tandis que la jeune demoiselle continuait de caresser son dos. Apparemment, lui aussi avait assuré ce soir et elle n’allait pas oublier de si tôt son rendez vous avec le jeune Perrain. Après avoir retrouver une tenue décente, le jeune homme pris son manteau puis il sortit de la chambre après un dernier baiser pour la jeune femme. Le couloir était sombre. La rambarde donnait sur l’étage inférieur où l’agitation qui y régnait en début de soirée avait disparut. Seules quelques filles attendaient les éventuels derniers clients tandis que les autres devaient être dans des chambres, en train de satisfaire leur client.
Leonard était sur le point de se diriger vers l’escalier lorsqu’une main délicate vint frôler son épaule. Il sut avant même de se retourner de qui il s’agissait. Souvent elle l’attendait après ses rendez-vous. Serena… rien que ce nom avait un pouvoir absolu dans son esprit. Bien sur en apparence, et pour tous les autres clients de cette maison, elle était une fille parmi les autres. Mais pour Leonard, elle avait un tout autre statut. Il l’avait rencontré au détour d’une soirée organisée par l’un de ses amis, dans ce manoir. Elle faisait partie des quelques demoiselles présentent pour satisfaire les désirs des invités. Leonard avait tout de suite été subjugué par sa beauté arrogante, son air farouche, ses yeux pétillant de malice et d’intelligence. Mais chose incroyable, il es sentait tout bonnement incapable de la toucher. Surpris par l’effet de cette jeune femme sur lui, il avait cherché à en savoir plus et l’avait invité à danse. Ils avaient longtemps discuté pendant cette nuit. Au fur et à mesure que cette soirée avançait, Leonard se rendait compte que cette demoiselle lui plaisait. Non pas physiquement, enfin pas exclusivement en tout cas. Et c’est ainsi que leur relation avait débuté. Le jeune homme avait tout d’abord nié l’évidence mais la vérité était bien là : il l’aimait.

Se retournant doucement, il attrapa la jeune femme par la taille et l’attira à lui avant de déposer sur ses lèvres un baiser très doux, remplis de tout l’amour qu’il éprouvait pour cette jeune femme. Tout ce qui avait pu se passer dans la chambre à coté, avec l’autre fille, n’avait q’un pale reflet par rapport à la joie qu’il éprouvait d’avoir Serena dans ses bras, rien que pour lui. Il ne la retint cependant pas longtemps car la crainte de se faire surprendre l’empêchait de la serrer dans ses bras. Personne n’était au courant de cette liaison, pas même sa femme ni les Boldwin et le jeune homme préférait que cela reste secret. Il savait cependant où ils pouvaient se cacher, habitué à cette situation qui durait depuis quelques mois déjà.
Il pris donc la main de la jeune femme dans la sienne et la conduisit jusque dans ce petit cagibis situé au fond du couloir. Là ils pourraient être tranquilles.
Il n’avait jamais fait l’amour avec Serena. Il ne voulait pas. Non pas qu’elle ne l’attire pas mais il avait l’impression que cela la mettrait au même plan que les autres alors qu’enfait, elle était de loin supérieure à toutes ces autres donzelles.
Il fit rentrer la jeune fille dans la minuscule pièce avant de refermer la porte derrière eux. La petite fenêtre laissait passer le clair de lune, diffusant dans l’espace réduit, assez de lumière pour que le jeune homme puisse admirer les traits fins de la jeune fille. Il pris alors son visage entre ses mains et l’embrassa. Ce fut un baiser plus long et plus sensuel que le premier dans le couloir. Maintenant qu’ils étaient à l’abri des regards, il pouvait en profiter. Puis il s’écarta d’elle.

« Tu vas bien mon ange ? »

Ses doigts étaient toujours sur le cou de Serena, caressant sa peau si douce de ses longs doigts fins.

Le bonheur la submergea tandis que l'unique homme qui comptait à ses yeux la prenait brièvement dans ses bras dans le couloir. A chaque entrevue, elle avait peur qu'il la rejette en s'apercevant qu'elle n'était qu'une esclave de ce manoir comme tant d'autres. Lui était libre d'aller et venir comme bon lui semblait, pas elle. Il avait un statut, ce qu'elle avait perdu au moment même de son entrée au manoir. Depuis quelques temps cette idée la taraudait, elle savait qu'elle n'était pas assez bien pour lui. Il avait une femme, et peut-être même un jour prochain aurait-il des enfants avec elle. En bref il avait une vie hors de ces murs, tandis que la sienne semblait confinée dans le manoir.

Ses inquiétudes s'envolèrent pourtant momentanément lorsqu'il l'entraina dans un cagibis. Elle sourit doucement en s'apercevant que depuis le temps qu'il fréquentait ces lieux, il les connaissaient presque mieux qu'elle, et il en était de même pour les occupants. Pourtant lorsqu'il l'embrassa, plus longuement que dans le couloir puisqu'à présent ils ne craignaient plus les regards indiscrets, elle prit le parti de mettre de côté ses soucis jusqu'à son départ. Elle aurait alors tout le temps de s'angoisser tout à loisir. Elle se focalisa donc sur Leonard, tâchant d'oublier le reste. Cependant, lorsqu'il lui demanda comment elle allait, avec sa voix si tendre et rassurante, elle réfléchit un instant avant de lui répondre. A vrai dire, tout allait bien mis à part le fait que si le couple Boldwin venait à apprendre leur liaison ils allaient en prendre pour leur grade, et celui que peu importe combien elle l'aimait, il finirait forcément par 'oublier dans les bras de l'une des délicieuses, tellement plus douées qu'elle dans l'art de la séduction. Elle pensa brièvement à tout cela en scrutant les yeux ensorcelants de Leonard. Non, elle n'allait pas lui dire tout cela, car cela jetterait surement une ombre sur leur bonheur de s'être retrouvés. Elle lui répondit donc en souriant que tout allait pour le mieux de son côté.

Incapable de soutenir son regard plus longtemps, elle se blotti contre lui et ferma les yeux. Elle s'apaisa au rythme des battement du cœur de Leonard contre sa joue, et celui de son souffle dans ses cheveux. Les mains du jeune homme avaient glissées jusqu'à sa taille, l'enlaçant tendrement. Elle aurait pu rester des heures ainsi, dans ses bras elle se sentait en sécurité. Mais bientôt, avant l'aube, il devrait la quitter pour retourner chez lui, la laissant sous le regard des Boldwin, inquisiteurs. Elle frémit. Inquiète et perplexe à la fois. Ses angoisses n'avaient commencées que quelques jours auparavant, peu après un regard particulièrement suspicieux d'Amélia, et depuis elle dormait peu, ce qui expliquait l'état de nerfs dans lequel elle se trouvait actuellement. Ses lèvres formèrent un sourire sans joie, songeant que l'antidote à une partie de ses problèmes pourrait bien être une bonne nuit de sommeil. Dans quelques temps elle redeviendrait peut-être le jeune femme pétillante et pleine de fougue qui avait su lui plaire sans le vouloir, et tout redeviendrait comme avant. Restait à trouver le temps de se reposer. Pour l'instant ça n'avait pas vraiment d'importance d'ailleurs, pas grand chose n'en avait à part cet homme tout contre elle dont l'odeur douce et enivrante à la fois l'apaisait. Toutefois, pour être certaine qu'il ne relèverait pas le trouble qui l'avait traversé quelques instants plus tôt, elle le questionna à son tour, tout en restant pelotonnée dans ses bras.

« Et toi, comment vas-tu ? »

« Et toi comment vas-tu ? »

Serena était pelotonnée dans les bras de Leonard. Le jeune homme la serra un peu plus contre lui.

« Et bien tout se passait bien, malgré ma journée un peu dure et fatigante. Je commençais à sentir les heures de sommeil en retard jusqu’à ce que je te vois et ensuite, tout est allé beaucoup mieux ! »

Et c’était vrai. Serena avait sur Leonard un pouvoir apaisant. L’amour ? Certainement. Le jeune homme ne se l’était avoué que peu de temps auparavant. Jamais il ne s’était permis de tomber amoureux d’une jeune fille. Il ne se considérait pas de ses hommes qui rêvassaient en pensant à leur bien-aimée. Sauf que Serena était apparue dans sa vie et il avait bien dû se rendre à l’évidence que le rôle d’amoureux transis n’était pas réservé qu’aux autres.
D’une main il vint caresser la longue chevelure brune de la jeune demoiselle. De l’autre il lui enserra la taille afin de la garder près de lui, au cas où elle aurait envie de s’en aller. Ce dont il doutait fortement. Il se souvint alors que, ailant espéré la voir, il avait apporté avec lui un cadeau. Ne pouvant pas lui exprimer son amour de manière charnelle, il était bien obligé de trouver de quoi rendre cet amour platonique un peu plus réel. Il voulait que Serena soit la plus belle, la plus heureuse de ce manoir à défaut de pouvoir lui offrir une liberté. Il voulait que toutes les filles de cette maison soit jalouse d’elle, qu’elle la regarde avec fascination et qu’elles lui donnent le respect qu’elle méritait. Car elle était à ses yeux la perle rare de cet endroit.
Leonard pris la taille si fine de la jeune fille entre ses mains et l’écarta de lui. Il fit ensuite remonter ses mains pour qu’elles encadrent ce visage si parfait. Il commença alors à l’embrasser. Le goût de ses lèvres, la douceur de ses baisers, tout rendait le juene homme complètement fou d’elle. Ce petit cagibi qui sentait le moisi devenait, en sa présence, le plus bel endroit du monde, rien que parce qu’ils étaient seuls tout les deux et qu’il pouvait la serrer dans ses bras à sa guise.

Leonard s’écarta enfin de la demoiselle, à regrets il faut bien l’avouer. Il plongea sa main dans une poche intérieure de son manteau. Il en sortit un écrin de velours bleu nuit. Il avait passé plusieurs heures à choisir mais avait finit par opter pour une parure de tous petits diamants et de saphirs, monté sur de l’or blanc. Il ne savait si ce collier allait plaire à Serena. Il avait choisit quelque chose d’assez simple mais de très délicat et travaillé. Il voulait que ce présent se démarque des colliers habituellement fournis aux demoiselles par les Boldwin.
Le jeune homme tendit l’écrin à Serena.

« Tiens c’est pour toi mon amour. J’espère que cela te plaira. »

Il regarda la jeune fille ouvrir la boite. Il était un peu anxieux de savoir son avis. Habituellement, il ne se trompait jamais quand aux désirs d’une femme mais là, il ne voulait vraiment pas faire de fausse note.
Il pris appuis sur une petit meuble derrière lui, ses bras tendus appuyé sur le bois, les jambes croisées, dans un esprit de nonchalance. Il essayait de paraître le plus calme possible, histoire de ne pas montrer qu’il stressait à l’idée de s’être trompé de cadeau. Même si il s’agissait de Serena. C’était du jeune homme fier et arrogant dont elle était amoureuse. Pas du niais, peureux et soumis ! Leonard afficha un sourire en attendant un signe de la part de la demoiselle. Il en profita donc pour admirer une fois de plus ses formes avantageuses. Cette robe mettait en valeur sa poitrine généreuse et sa taille fine. Elle faisait incroyablement envie habillée de la sorte. Le jeune homme détourna les yeux. Si il continuait à regarder ainsi ce corps si tentant, il finirait pas faire des bêtises.