Delilah. Cela faisait bien longtemps qu’Eric ne l’avait plus vue, qu’il n’avait plus aperçu son visage angélique, qu’il n’avait plus pris de ses nouvelles. Il avait réussi à la transformer en prostituée, le reste n’avait que peu d’importance. Il lui avait pris son innocence, son héritage, son nom, son rang. Elle n’avait plus rien à cause de lui. Elle n’était plus rien. Plus rien qu’une fille juste bonne à ouvrir les cuisses et à recevoir les coups de butoirs des hommes qui avaient payé pour cela. Alors il s’était désintéressé d’elle. Il avait presque réussi à l’oublier. Mais elle lui était apparue, richement vêtue et galamment accompagnée, voilà quelques jours. Et depuis, il ne parvenait plus à chasser son image. Cette nuit, il avait revécu en rêve leur première nuit et il s’était réveillé en sursaut, en sueur, excité et frustré. Il s’était revu pousser la porte de sa chambre, alors qu’elle n’avait que douze ans. Il l’avait revue, si douce, si jeune, assoupie délicatement dans ses draps de soie. Il avait revu ses yeux effrayés, sa main sur sa bouche. Il avait revu sa chemise de nuit de jeune fille. Il s’était revu la força à écarter les jambes. Il n’avait que quatorze ans alors. Mais elle n’était pas la première fille qu’il connaissait. Il avait, par contre, été le premier homme à la visiter. Et ses chairs n’en avaient été que plus douces, plus serrées. Elle n’avait alors encore rien à voir avec la fille de joie qu’elle était devenue. Et soudain, il se demanda ce qu’il ressentirait en la prenant, quatorze ans plus tard. Quittant le fauteuil de son bureau, il alla sonner son domestique.

« François, faites préparer la voiture. Je sors, ce soir. Faites aussi livrer un message au Manoir des Délices. Que Delilah soit me soit réservée pour la nuit. Ne donnez pas mon nom. Contentez de faire porter ce message ainsi que cette bourse pour payer Delilah et une chambre de luxe. Demandez aussi qu’elle soit en chemise de nuit blanche, sage, attachée au lit et bâillonnée. »

François, qui n’était à son service que depuis trois ans, ignorait tout de Delilah. Il savait par contre que son Maitre avait de nombreuses Maitresses. Et s’il était catholique pratiquant et conservateur, il n’avait pas son mot à dire dans les actions de Monsieur Hanval. Il se gardait bien de faire la moindre réflexion et cela plaisait énormément au Baron.

Après un repas copieux et délicieux, Eric revêtit son manteau ainsi que son chapeau et monta dans la voiture. Sans attendre, le cocher lança les cheveux qui s’ébranlèrent. Direction le Manoir des Délices. Il avait hâte d’y être. Il avait hâte de la voir, et de l’avoir rien qu’à lui. Une nuit entière. Il en salivait d’avance.

Qu'elle dure journée, et qu'elle chaleur en ce jour de juillet ! Au manoir des Délices, la ravissante Delilah s'évente au grès des plumes, tout en désespérant de voir arriver le soir et la fraicheur du début de nuit, qui fait tant de bien, qui repose et détend. En cette période il n'y a pas de meilleur moment au goût de la délicieuse. Sauf peut-être celui où elle peut prendre un grand verre d'eau fraîche. La matinée est étouffante, l'après-midi l'est également... Travailler dans ces conditions n'est pas des plus agréables, compte tenu en prime du métier qu'exerce la demoiselle. Le soir est beaucoup plus agréable et justement, aujourd'hui, la brune achève de travailler relativement tôt dans l'après-midi pour ne recommencer que le soir. Même en sortant dans le hall de temps en temps pour s'assurer qu'aucun visiteur sans rendez-vous n'ai besoin d'une fille, la brune n'a rien à faire avant dix-neuf heure.

Du travail, enfin. La demoiselle se prépare ainsi que cela lui a été demandé, tout en s'étonnant de la curieuse requête. D'ordinaire, l'on ne demande pas une fille en chemise. On la souhaite plus élégante. Quand au reste des demandes, la jeune femme se demande ce que cela peut bien signifier, elle se plaît à essayer de comprendre comment fonctionne l'homme qui va venir la visiter ce soir. Cet inconnu, cela l'excite un petit peu, la rend impatiente d'entendre les coups annonçant 21 heures. Mais déjà, dix minutes avant, l'on frappe à sa porte. Un employé du manoir est chargé de la préparer dans la chambre. La jeune femme le suit donc après avoir vérifié sa coiffure.

Etendue sur le lit, la brune se laisse attacher et bâillonner. Bientôt, elle ne peut plus ni bouger ni parler. C'est alors que l'excitation et la curiosité du départ se transforment en une pointe de peur. Oui, la jeune femme se sent titillée. L'adrénaline monte un peu. Rapidement seule, la brune fixe son regard sur les torches qui constituent une source de lumière, un repaire dans ces ténèbres. Il n'y a plus qu'à attendre.

Elle ne sait pas ce qui l'attend. Delilah ignore comme cette nuit est terrible, comme chaque minute qui passe la rapproche un peu plus du cauchemar. Elle qui disait tout accepter, hormis de s'occuper de Monsieur de Saint-Ange ignore que ce dernier a trouvé le moyen de l'approcher, le moyen de contourner cette requête. Elle ignore comme chaque pas de l'homme qui la rapproche d'elle excite d'avantage ce dernier. Mais peut-être au fond, est-ce cela qui l'inquiète ? Comme un mauvais pressentiment de quelque chose d'abominable, prêt à la précipiter des sommets pour la faire dégringoler loin au milieu de l'horreur, loin au centre de ses souvenirs, où tout est plus terrible, plus scandaleux, plus effrayant.

Offerte en sacrifice, comme l'enfant d'autre fois, aux mains d'un homme abject, qui hante ses cauchemars les plus atroces, ceux qui la poursuivent encore parfois dans les méandres de la nuit et qui chaque fois, la détruisent tant qu'elle se sent morte jusqu'à l'aurore.

Douce, douce Delilah. Tu ignores encore ce qui t’attend. Mais tu ne l’oublieras pas de sitôt. À chaque mètre parcouru par les cheveux tirant la voiturette, Eric de Saint-Ange exultait un peu plus. Après des années sans avoir pu la toucher, après des années sans avoir de ses nouvelles, elle l’avait revue, et allait enfin, ce soir, pouvoir réaliser tous les fantasmes qu’elle avait provoqués en lui. Il avait hâte de la découvrir, offerte à son bon vouloir, vêtue simplement d’une chemise de nuit comme lors de leur première nuit. Avait-elle compris ce qui l’attendait. Sans nul doute, non. Dans tel cas, il aurait certainement reçu un message le dissuadant de se présenter au Manoir des Délices ce soir. Oh doux serait le moment où elle comprendrait. Pour lui, du moins. Car pour elle… Soudain, la voiture s’arrêta et deux coups furent donnés sur le toit pour lui signaler qu’ils étaient arrivés. Dans quelques minutes à peine, il pourrait voir les yeux de sa sœur s’écarquiller d’effroi. Dans quelques minutes à peine, il la verrait se débattre. Mais elle ne pourrait s’échapper. Il avait payé pour cela. Il y avait mis le prix. Pour l’avoir, à lui, toute une nuit. Tandis qu’un valet ouvrait la porte de la voiture, il luttait contre un sourire machiavélique. Déjà, il sentait l’excitation durcir son corps. En passant les portes de l’établissement renommé, il sourit au valet et lui tendit une nouvelle bourse, se contentant de lui annonçant qu’il avait réservé une nuit avec Delilah. Celui-ci ne prit même pas le soin de lui demander son identité, se contentant d’étudier son habit riche pour en déduire qu’il s’agissait d’un gentilhomme. Si seulement il savait qu’il n’avait rien de gentil en lui… Tranquillement, prenant son temps, il monta les marches du riche escalier. Chaque seconde d’attente supplémentaire l’excitait un peu plus. Et bientôt, quand sa main se posa sur la poignée de la porte, il pouvait sentir son cœur battre dans le bas de son ventre. Pour autant, il ne se précipita pas. Au contraire, il s’immobilisa et ferma les paupières, inspira profondément puis expira, pour se préparer à savourer cet instant qu’il attendait tant. Celui où elle comprendrait… Doucement, il poussa la porte, tête baissée puis la releva, pour planter son regard dans celui de la Délicieuse. Quand il eut lu la surprise, et ce qu’il prit pour de la peur, il sourit et referma la porte à clé derrière lui, rangeant précieusement la clé dans son manteau. Plus rien, à présent, ne pourrait venir interrompre leurs retrouvailles. Et surtout pas Monsieur le Duc de la Valoisière. Sans attendre ni rien dire, il commença à se déshabiller, déposant son manteau sur un fauteuil, ôtant ensuite ses bottes, puis sa chemise, dévoilant un torse musclé et doré par le soleil. Quand il se fut complètement dévêtu, il s’approcha du lit et s’y hissa, écartant les jambes de la Délicieuse de force. Comme cette fameuse nuit. Cette première nuit.

Et comme cette première nuit, il se glissa en elle, brutalement, se moquant bien de sa volonté. « Haaa… Delilah… Ma douce Delilah… » Ses coups de reins n’avaient rien de doux ou de tendre. Quant à ses mains, elles relevaient sa chemise de nuit pour révéler ce ventre plat, et la poitrine généreuse qui ne s’était pas encore épanouie jadis. « Vous étiez plus étroite, à douze ans. » Mais ce n’était pas cela qui l’empêcherait de la prendre et de jouir entre ses cuisses. Sans la moindre délicatesse, ses mains palpaient les monts de chair, les serraient, les pinçaient, les tordaient. Ses lèvres vinrent bientôt jouer de concert, ses dents les mordillèrent. Et bientôt, il se répandit en elle. Déjà. Trop tôt. Mais il aurait bien le temps de se remettre pour la suite. Ils avaient toute une nuit pour eux.